NOS RAYONS
La cagnotte est-elle en train de tuer le cadeau d’anniversaire?
Posté le 13/05/2025

Acheter un cadeau serait-il devenu surfait? Pour célébrer un anniversaire, la cagnotte en ligne est devenue bien plus qu’une facilité de paiement. Ce qui donne l’impression qu’elle va remplacer le cadeau.
«Au fait, il y a une cagnotte de prévue?» Si, à cette interrogation de dernière minute, il vous est répondu par la négative, il y a de fortes chances que vous soyez décontenancé(e). Pas le temps d’acheter un cadeau, encore moins d’idée pour le personnaliser. À se demander si le nouveau mot d’ordre des fêtes d’anniversaire n’est pas devenu, sans qu’on s’en rende compte, «pas de cagnotte, pas de cadeau».
Après tout, on ne s’enquiert même plus de ce qui sera offert mais bien de l’existence d’une cagnotte –et, non, quand vous demandez s’il y a un cadeau commun, ça ne compte pas; tout le monde sait bien que le sous-texte est «Je mets de l’argent sur leetchi ou le pot commun?».
«S’il n’y a pas de cagnotte, aujourd’hui, on a l’impression que c’est archaïque», résume Damien de Blic, maître de conférences en science politique et coauteur avec Jeanne Lazarus de l’ouvrage La Sociologie de l’argent (La Découverte, 2007). Mais la cagnotte est-elle pour autant en train de tuer le cadeau d’anniversaire? Pas si sûr. Pour la sociologue Régine Sirota, qui a étudié le rituel de l’anniversaire, «les formes changent mais le rituel reste le même, on en accroît même l’importance».
Obligation sociale
D’abord, passer directement à la question des modalités de paiement, c’est avoir intégré que qui dit anniversaire dit forcément cadeau. C’est pour cela que la chercheuse au Centre d’études et de recherche sur les liens sociaux (Cerlis) pense que les cagnottes en ligne sont «le signe de l’utilisation du cadeau pour faire du lien social» plutôt que celui d’une moindre importance du présent enveloppé dans un joli papier stylisé. La cagnotte viendrait comme un indice de «l’obligation forte» du cadeau d’anniversaire.
Cette convention sociale est bien imprégnée dans nos esprits:
«La force du cadeau d’anniversaire, c’est que les gens n’ont pas le sentiment d’une obligation, sauf quand ça leur pèse et qu’ils n’aiment pas la personne à qui il convient d’offrir un cadeau.»
Et, là, la cagnotte, qui plus est en ligne, du moins pour ceux qui ne craignent pas les paiements sur internet, a un côté pratique qui va peut-être davantage pousser à participer (même si c’est un montant dérisoire) au cadeau d’anniversaire de cette personne qui nous a invité(e) alors qu’on l’apprécie sans plus et pour qui on aurait trouvé pénible d’acheter un vrai cadeau.
Pluralité de cadeaux
Sauf que, parfois, on est loin de la motivation initiale, celle pour l’organisateur d’éviter d’avancer de l’argent et de devoir réclamer, avec insistance et parfois vainement, tous les dons promis par les autres participants. Certes, il arrive encore qu’un bon pote encaisse la somme obtenue pour aller acheter des cadeaux IRL (qui parfois, pour les plus ordonnés, sont détaillés dans la description de la cagnotte; on sait alors ce pour quoi on paye) et les offrir le jour J.
Mais l’option «bon cadeau» voire le transfert d’argent accompagné de la mention «Fais-toi plaisir» existent aussi. L’argent récolté peut alors être transféré sur le compte bancaire du destinataire du cadeau… Plus grand-chose à déballer quand on en est le bénéficiaire: la cagnotte vient directement renflouer le compte bancaire.
«Il y a toujours eu des formes de cadeau très standardisées, qui permettent de se sortir des obligations sociales en en ayant les apparences»
Régine Sirota, sociologue, spécialiste du rituel de l’anniversaire
D’après Damien de Blic, cette «inventivité des usagers, qui ne suivent pas forcément les usages prévus par les fondateurs de la plateforme» ne vient pas pour autant destituer le paquet cadeau. C’est tout simplement qu’il existe diverses manières d’offrir un cadeau.
«La cagnotte en ligne ajoute une façon différente de faire des cadeaux plus qu’elle ne se substitue au cadeau lui-même. Ces outils permettent de faire varier le type de liens sociaux.»
Cette pluralité du don pour chanter cette bougie de plus, comme on l’appelle aujourd’hui, n’est pas nouvelle, retrace l’historien Jean-Claude Schmitt, auteur de l’ouvrage L’Invention de l’anniversaire (Éd. Arkhê, 2012). Ainsi, à la cour du roi de France au XVIIe siècle, le Dauphin, futur Louis XIII, insistait pour que soit chanté en son honneur le Te Deum.
Il a fallu attendre le XXe siècle pour que la célébration de l’anniversaire prenne la forme du combo gâteau-bougies-chanson-cadeaux. Aux XVIIIe et XIXe siècles, on célébrait l’anniversaire de la naissance à l’aide de petits compliments qui prenaient la forme de chants et poèmes, et éventuellement de friandises. «La famille de George Sand composait en son honneur de petits poèmes. C’est ça qu’on offre, plutôt que des cadeaux.»
Dépense financière
Je vous entends déjà rétorquer que, du nom déclamé dans un joli poème à celui mentionné dans un virement bancaire, il y a quand même un fossé. C’est vrai. Sauf que, même du temps où l’on fêtait l’anniversaire de la mort («au Moyen Âge, les gens ignoraient leur âge et leur date de naissance»), «l’idée de la dépense financière liée à l’anniversaire de la mort d’un défunt a toujours été présente», précise Jean-Claude Schmitt. Ainsi, il fallait payer le clergé pour faire dire une messe et maintenir la mémoire de la personne disparue.
Et, poursuit Régine Sirota, il y a toujours eu «des formes de cadeau très standardisées, qui permettent de se sortir des obligations sociales en en ayant les apparences, comme la bouteille de vin ou le bouquet de fleurs». Ce n’est donc pas parce que la cagnotte en ligne a fait son apparition que les cadeaux vont forcément être moins personnalisés voire tous se transformer en transfert d’argent. La preuve: les chèques et le liquide ou les cartes et chèques cadeaux n’ont pas fait disparaître la remise de paquets enrubannés.
Offre dépersonnalisée
Sans compter que ce n’est pas non plus parce que l’on se rapproche d’un don de pièces sonnantes et trébuchantes que la portée du cadeau est moindre. Tout simplement parce que le cadeau est toujours un équilibre à trouver entre «les intentions de ceux qui donnent –car, d’après Marcel Mauss, l’objet devenu cadeau devient porteur de l’âme de ceux qui l’offrent– et les centres d’intérêts de la personne à qui ils donnent», ce qu’elle aimerait recevoir donc, explique la sociologue.
Offrir un «bon pour…» par le biais d’une cagnotte, en sachant pertinemment que la personne pourra dépenser l’argent à sa guise, est «une façon de se rassurer, détaille Damien de Blic. Si l’idée de départ ne convient pas, le destinataire pourra en changer».
C’est ainsi que, plutôt que de considérer qu’un chèque, une enveloppe de quelques billets ou un virement d’argent récolté par le biais d’une cagnotte en ligne est une forme de cadeau inférieure, puisque plus impersonnelle, on estime que «l’argent, par rapport aux autres formes de dons, a des potentialités: c’est à la fois une source de dépersonnalisation et de liberté».
Rite valorisé
En parallèle, ce don d’argent a aussi l’avantage de «conférer une valeur supplémentaire et intime, de revaloriser d’autres formes de cadeaux, pointe le spécialiste de la sociologie de l’argent. Si les cadeaux sous forme monétaire se multiplient, les cadeaux “en nature” seront un marqueur de personnalisation, de la même façon que l’usage répandu des e-mails donne une valeur à la carte écrite». C’est ainsi que la cagnotte en ligne, plutôt que de détruire peu à peu l’objet cadeau, en transforme la valeur et en conforte la prédominance sociale.
Et ce, d’autant plus que, si cet outil de récolte d’argent peut parfois conduire à faire passer à la trappe le déballage de cadeaux physiques, il a aussi l’avantage d’éviter une parcellisation des cadeaux lors des «grands anniversaires, comme les 30 ou 40 ans, fait remarquer Régine Sirota, des occasions qu’il ne faut pas manquer et où l’on considère qu’il faut faire un vrai beau cadeau très personnalisé». Dans ces cas-là, «l’obligation du cadeau est importante pour le groupe de pairs afin de marquer une étape de la vie». Et la cagnotte vint s’inscrire dans un mouvement de «reritualisation» et de «réinvention de la tradition». Signe que le cadeau d’anniversaire n’est pas près de disparaître.
«Au fait, il y a une cagnotte de prévue?» Si, à cette interrogation de dernière minute, il vous est répondu par la négative, il y a de fortes chances que vous soyez décontenancé(e). Pas le temps d’acheter un cadeau, encore moins d’idée pour le personnaliser. À se demander si le nouveau mot d’ordre des fêtes d’anniversaire n’est pas devenu, sans qu’on s’en rende compte, «pas de cagnotte, pas de cadeau».
Après tout, on ne s’enquiert même plus de ce qui sera offert mais bien de l’existence d’une cagnotte –et, non, quand vous demandez s’il y a un cadeau commun, ça ne compte pas; tout le monde sait bien que le sous-texte est «Je mets de l’argent sur leetchi ou le pot commun?».
«S’il n’y a pas de cagnotte, aujourd’hui, on a l’impression que c’est archaïque», résume Damien de Blic, maître de conférences en science politique et coauteur avec Jeanne Lazarus de l’ouvrage La Sociologie de l’argent (La Découverte, 2007). Mais la cagnotte est-elle pour autant en train de tuer le cadeau d’anniversaire? Pas si sûr. Pour la sociologue Régine Sirota, qui a étudié le rituel de l’anniversaire, «les formes changent mais le rituel reste le même, on en accroît même l’importance».
Obligation sociale
D’abord, passer directement à la question des modalités de paiement, c’est avoir intégré que qui dit anniversaire dit forcément cadeau. C’est pour cela que la chercheuse au Centre d’études et de recherche sur les liens sociaux (Cerlis) pense que les cagnottes en ligne sont «le signe de l’utilisation du cadeau pour faire du lien social» plutôt que celui d’une moindre importance du présent enveloppé dans un joli papier stylisé. La cagnotte viendrait comme un indice de «l’obligation forte» du cadeau d’anniversaire.
Cette convention sociale est bien imprégnée dans nos esprits:
«La force du cadeau d’anniversaire, c’est que les gens n’ont pas le sentiment d’une obligation, sauf quand ça leur pèse et qu’ils n’aiment pas la personne à qui il convient d’offrir un cadeau.»
Et, là, la cagnotte, qui plus est en ligne, du moins pour ceux qui ne craignent pas les paiements sur internet, a un côté pratique qui va peut-être davantage pousser à participer (même si c’est un montant dérisoire) au cadeau d’anniversaire de cette personne qui nous a invité(e) alors qu’on l’apprécie sans plus et pour qui on aurait trouvé pénible d’acheter un vrai cadeau.
Pluralité de cadeaux
Sauf que, parfois, on est loin de la motivation initiale, celle pour l’organisateur d’éviter d’avancer de l’argent et de devoir réclamer, avec insistance et parfois vainement, tous les dons promis par les autres participants. Certes, il arrive encore qu’un bon pote encaisse la somme obtenue pour aller acheter des cadeaux IRL (qui parfois, pour les plus ordonnés, sont détaillés dans la description de la cagnotte; on sait alors ce pour quoi on paye) et les offrir le jour J.
Mais l’option «bon cadeau» voire le transfert d’argent accompagné de la mention «Fais-toi plaisir» existent aussi. L’argent récolté peut alors être transféré sur le compte bancaire du destinataire du cadeau… Plus grand-chose à déballer quand on en est le bénéficiaire: la cagnotte vient directement renflouer le compte bancaire.
«Il y a toujours eu des formes de cadeau très standardisées, qui permettent de se sortir des obligations sociales en en ayant les apparences»
Régine Sirota, sociologue, spécialiste du rituel de l’anniversaire
D’après Damien de Blic, cette «inventivité des usagers, qui ne suivent pas forcément les usages prévus par les fondateurs de la plateforme» ne vient pas pour autant destituer le paquet cadeau. C’est tout simplement qu’il existe diverses manières d’offrir un cadeau.
«La cagnotte en ligne ajoute une façon différente de faire des cadeaux plus qu’elle ne se substitue au cadeau lui-même. Ces outils permettent de faire varier le type de liens sociaux.»
Cette pluralité du don pour chanter cette bougie de plus, comme on l’appelle aujourd’hui, n’est pas nouvelle, retrace l’historien Jean-Claude Schmitt, auteur de l’ouvrage L’Invention de l’anniversaire (Éd. Arkhê, 2012). Ainsi, à la cour du roi de France au XVIIe siècle, le Dauphin, futur Louis XIII, insistait pour que soit chanté en son honneur le Te Deum.
Il a fallu attendre le XXe siècle pour que la célébration de l’anniversaire prenne la forme du combo gâteau-bougies-chanson-cadeaux. Aux XVIIIe et XIXe siècles, on célébrait l’anniversaire de la naissance à l’aide de petits compliments qui prenaient la forme de chants et poèmes, et éventuellement de friandises. «La famille de George Sand composait en son honneur de petits poèmes. C’est ça qu’on offre, plutôt que des cadeaux.»
Dépense financière
Je vous entends déjà rétorquer que, du nom déclamé dans un joli poème à celui mentionné dans un virement bancaire, il y a quand même un fossé. C’est vrai. Sauf que, même du temps où l’on fêtait l’anniversaire de la mort («au Moyen Âge, les gens ignoraient leur âge et leur date de naissance»), «l’idée de la dépense financière liée à l’anniversaire de la mort d’un défunt a toujours été présente», précise Jean-Claude Schmitt. Ainsi, il fallait payer le clergé pour faire dire une messe et maintenir la mémoire de la personne disparue.
Et, poursuit Régine Sirota, il y a toujours eu «des formes de cadeau très standardisées, qui permettent de se sortir des obligations sociales en en ayant les apparences, comme la bouteille de vin ou le bouquet de fleurs». Ce n’est donc pas parce que la cagnotte en ligne a fait son apparition que les cadeaux vont forcément être moins personnalisés voire tous se transformer en transfert d’argent. La preuve: les chèques et le liquide ou les cartes et chèques cadeaux n’ont pas fait disparaître la remise de paquets enrubannés.
Offre dépersonnalisée
Sans compter que ce n’est pas non plus parce que l’on se rapproche d’un don de pièces sonnantes et trébuchantes que la portée du cadeau est moindre. Tout simplement parce que le cadeau est toujours un équilibre à trouver entre «les intentions de ceux qui donnent –car, d’après Marcel Mauss, l’objet devenu cadeau devient porteur de l’âme de ceux qui l’offrent– et les centres d’intérêts de la personne à qui ils donnent», ce qu’elle aimerait recevoir donc, explique la sociologue.
Offrir un «bon pour…» par le biais d’une cagnotte, en sachant pertinemment que la personne pourra dépenser l’argent à sa guise, est «une façon de se rassurer, détaille Damien de Blic. Si l’idée de départ ne convient pas, le destinataire pourra en changer».
C’est ainsi que, plutôt que de considérer qu’un chèque, une enveloppe de quelques billets ou un virement d’argent récolté par le biais d’une cagnotte en ligne est une forme de cadeau inférieure, puisque plus impersonnelle, on estime que «l’argent, par rapport aux autres formes de dons, a des potentialités: c’est à la fois une source de dépersonnalisation et de liberté».
Rite valorisé
En parallèle, ce don d’argent a aussi l’avantage de «conférer une valeur supplémentaire et intime, de revaloriser d’autres formes de cadeaux, pointe le spécialiste de la sociologie de l’argent. Si les cadeaux sous forme monétaire se multiplient, les cadeaux “en nature” seront un marqueur de personnalisation, de la même façon que l’usage répandu des e-mails donne une valeur à la carte écrite». C’est ainsi que la cagnotte en ligne, plutôt que de détruire peu à peu l’objet cadeau, en transforme la valeur et en conforte la prédominance sociale.
Et ce, d’autant plus que, si cet outil de récolte d’argent peut parfois conduire à faire passer à la trappe le déballage de cadeaux physiques, il a aussi l’avantage d’éviter une parcellisation des cadeaux lors des «grands anniversaires, comme les 30 ou 40 ans, fait remarquer Régine Sirota, des occasions qu’il ne faut pas manquer et où l’on considère qu’il faut faire un vrai beau cadeau très personnalisé». Dans ces cas-là, «l’obligation du cadeau est importante pour le groupe de pairs afin de marquer une étape de la vie». Et la cagnotte vint s’inscrire dans un mouvement de «reritualisation» et de «réinvention de la tradition». Signe que le cadeau d’anniversaire n’est pas près de disparaître.